Comité Départemental de Spéléologie du Jura

Fédération Française de Spéléologie

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Hommage à Jean-Claude FRACHON

Témoignages : Info-EFS n°48, novembre 2005

  • MON PRESIDENT ! (Rémy Limagne)

Mon président,

Je dis mon président, parce que de toutes les fonctions présidentielles que tu as occupées dans cette fédération de spéléos, tu as conservé celle du spéléo-club du Jura, pendant près de quarante ans.

Est-il déjà l'heure de rédiger un panégyrique à ton intention ? Ce ne sont pas ces mots qui viennent à mon esprit en cette heure…

Je suis de ceux qui, comme la plupart d'entre nous, spéléos,  ont pu apprécier, ou detester, ta plume de polémiste. Point 1, point 2, point 3, et conclusion sans appel.

Je suis de ceux qui comme beaucoup d'entre nous, ont eu à subir ces joutes oratoires où tu excelles, et qui ne cessent que quand ton adversaire déclare forfait. Cette fougue et cet acharnement à défendre une cause t'ont valu beaucoup d'inimitiés, beaucoup d'admiration, jamais d'indifférence.

Je suis de ceux et comme tous ici, qui pensent, et qui diront, que tu es un grand homme.

Mais je suis de ceux qui comme bien peu d'entre nous, t'ont aussi vu, en larmes à la maison, et ont compris que derrière ce mastodonte de la spéléologie, il y a  un homme, avec ses faiblesses, ses doutes, et ses sentiments.

Jean-Claude Frachon, il y a plus de vingt-cinq ans que tu m'as contaminé du virus fédéral ! Et je l'avoue, j'ai souvent rêvé de t'égaler. Allez, tu as gagné ! Président, je te fais part de mon respect, et de mon admiration. Et au nom des milliers de spéléologues qui savent ce qu'ils te doivent, et des milliers d'autres qui l'ignorent, je te dis : merci.

Enfin, mon président, comme tu peux t'en  douter, il y a à peine quelques heures, j'ai bu, pour la millième et dernière fois, à ta santé…

Mon Capitaine !

Rémy Limagne, (Spéléo-Club du Jura), 28 octobre 2005


Il y a des adresses de messagerie qu'on n'ouvre même pas (des pub du genre " enlarge your penis "), d'autres qu'on ne regarde qu'en fin de lecture, par acquis de conscience, certaines enfin qui vous font battre le coeur dès elles s'affichent sur votre écran et qui ont droit à une lecture prioritaire : la familles, les amis. et puis quelques individus hors norme, chercheurs, poètes,  spéléos. qui ont toujours quelque chose d'intéressant à vous apporter. Parmi eux celle de JCF dont le dernier message sur la " liste " remonte à lundi seulement et qui nous annonçait de nouvelles trouvailles pour son cher site, le superbe, l'extraordinaire, le mythique Juraspéléo, le plus " culturesque " de tous ceux que je connaisse autour de notre activité dans bien des langues d'Europe ou d'ailleurs.

Dans quel domaine en rajouter sur la trémie de louanges qui va se déverser dans le gour de sa mémoire, aux bouquets de fleurs de gypse et aux couronnes de calcite ?  Faute de mieux je me contenterai d'un mot, un néologisme comme il se doit -le contrepèteur oulipologue impénitent mérite bien ça : " Spéléhumaniste " : un humaniste spéléologue, un homme d'une immense culture, maniant avec une égale aisance et parfois simultanément l'oxymore et la poignée bloqueur,  à qui, comme aurait dit un Socrate des profondeurs, rien de ce qui est souterrain n'était étranger.

JCF est parti pour sa dernière désob, faire un trou dans une nuit où demain il ne fera pas jour. Foin des pleurs et des lamentations qu'il n'aurait pas souhaité mais puisse son cher Jura d'où tant de spéléos, tant de chercheurs et tant d'humanistes sont sortis nous offrir un successeur digne de lui.

Puissent ses amis et le CDS 39 faire vivre et se développer ce site qui l'a tant occupé.

Et nous qui ne pouvons pas tous aller à Lons ce triste samedi matin, offrons lui cette dimanchée un bouquet de premières à sa mémoire : prospectons malgré le temps de Toussaint, prenons nos marteaux et nos burins, nos Hiltis et nos pailles MacDo, nos truelles et nos demi-bidons et allons désober : un kilomètre de premières, si nous nous y mettons tous, ça doit être possible, non ? Il paraît qu'il y a 10 000 spéléos en France, ça ne fait que 10 centimètres chacun, non ? Allons, du courage les gars ! et si ça ne passe pas après-demain, nous y retournerons dans une semaine, dans deux, dans un mois. Et ceux qui vivent un peu trop loin d'un karst ajouteront leur participation aux prochaines vacances.

Et nous sabrerons le Champagne avec nos descendeurs en pensant à toi, JCF !

"Vetus Reptator", Société Cévenole de Spéléologie et Préhistoire, 27 octobre 2005


Nous l'avons porté en terre.

Nous avons refait ces gestes dérisoires : passage du goupillon, bouquets de mots, fleurs jetées sur cette bière qui, dernière frachonnade, refusa obstinément d'entrer dans le caveau. Enfin, nous avons bu, non pour oublier, mais pour nous souvenir ; et nous avons échangé des rires mêlés de larmes furtives, essuyées sans honte.

Ces rites sans âge ont, comme chaque fois, fonctionné : la boule que nous avions, là, au fond de nous, s'est dénouée. Nous avons, au fil de ces heures suspendues, fait notre deuil. Chacun s'en est allé rasséréné, poursuivre son chemin ; et les mots, qui refusaient de sortir, sont revenus.

 J'ai connu Jean-Claude en 1963 en Haute-Saône, à la résurgence du Cul-de-Vaux, au hasard d'une invitation où Bruno Dressler, heureux possesseur d'une 2 CV, nous avait conduits. Très vite, nous nous avions eu conscience de nous retrouver au milieu d'un règlement de compte tordu entre Francs Comtois. C'était l'époque des "prises de date" dans Spelunca, qui permettaient à des clubs de quasi retraités de s'arroger des droits exclusifs sur une cavité, pour ne l'explorer ensuite qu'à dose homéopathique. Le Cul-de-Vaux était verrouillé par la bande à Nuffer, et le luxe des installations extérieures, avec abri, table, bancs et autres patères disait bien que ces gens-là passaient plus de temps hors de la grotte que dedans, où une terrible cascade repoussait censément tous leurs assauts. La bande à Frachon avait décidé de changer ça, et nous nous retrouvions enrôlés par hasard dans une explo pirate, mais où le fumet de la première avait vite éteint de possibles remords. La cascade avait été avalée en une bouchée, et la rivière torchée jusqu'au siphon amont, les narines au ras de l'eau, qui à l'époque était encore claire. Au retour, les choses prirent un tour franchement picaresque, avec déséquipement en règle du matériel en place, puis dans un entrain joyeux, réduction des commodités extérieures à l'état de ruines fumantes. Nous, les Parisiens bien élevés, regardions les yeux ronds ce déchaînement de violence où s'entrecroisaient des vociférations, des éclats de bois et des éclats de rire. Des Huns n'auraient pas fait mieux ; mais c'est un fait que la fin des prises de date en fut précipitée, et, d'ailleurs, il y a prescription.

 Surnageait de cette épopée destructrice l'image d'un garçon doué d'une énergie certaine et d'une répartie incisive, mais pas franchement fréquentable; lorsque, l'année suivante, en 1964, j'avais retrouvé mon Frachon au stage initiateur de Chalain. J'étais stagiaire et lui cadre, nous avions tous les deux vingt ans.

L'ambiance était tout différente et j'eus l'occasion de voir l'autre face de ce Janus : le spéléo véloce à l'esprit rapide disposait aussi d'une remarquable culture générale et scientifique. C'est à Chalain qu'a vraiment débuté notre amitié. En dehors des activités du stage, son côté potache ressortait bien vite et sa gouaille prenait le dessus : le gaillard savait s'amuser, et le fréquenter n'était pas triste. J'étais séduit. Il nous avait entraînés à deux ou trois dans la première traversée Menouille-Cerdon. Une fois dans la sinistre bassine où il faut s'immerger pour franchir l'étroiture siphonnante, il avait déclaré sobrement : "Pour réchauffer la flotte, pissons dedans".

Ce n'est que plusieurs années plus tard, en 1970, que nous nous sommes retrouvés pour encadrer le stage moniteur à Font d'Urle. Puis l'EFS nous a pris. Nous nous sommes alors vus très régulièrement, au Conseil fédéral ou dans les réunions EFS, tout au long de ces années où, après que Michel Letrône m'ait confié la direction de l'EFS, il fallait monter une nouvelle organisation, avec une double filière technique et pédagogique. Son esprit d'analyse était sans égal ; de plus, il parlait bien, et sa force de persuasion était grande. Le contredire était toujours un quitte ou double. Nous avions la même stratégie mais souvent une vue tactique différente : lui préférait démolir avant de rebâtir, descendre ses adversaires en flammes pour nettoyer le terrain, quand je privilégiais une évolution plus consensuelle. Sa méthode était plus efficace en terme de rapidité de résultats, mais il y avait parfois des dégâts collatéraux.      

A la FFS, la commission secours était en pleine mutation, et nous y militions activement.

Que de joutes oratoires passionnantes, avec un tel bretteur !

Lorsqu'en 1976 mon activité croissante de fabricant de matériel m'a paru incompatible avec des responsabilités fédérales, je n'ai vu que lui comme successeur possible. Et il a pris en main l'EFS, jusqu'en 1979. Lui a continué une vie fédérale riche, aussi bien au niveau local que national, puis international. Qui ne le sait ?

Ces activités débordantes ne l'empêchaient pas de mener sa vie d'explorateur, accumulant les découvertes, se jetant à fond dans la plongée qui se structurait et dont il fut l'un des principaux acteurs. Il fut appelé successivement à la direction de cette commission, puis à celle des secours, où son impulsion fut décisive. Il mena là d'autres combats, contre l'immobilisme, contre la médiocrité, et aussi contre "les rouges", dont ce fils de pompier resta pourtant l'adversaire acharné.

S'il aima plus que tout sa chère Franche-Comté, il avait sévi aussi dans le Massif d'Arbas, où l'avait conduit son service militaire, et surtout au réseau de la Dent de Crolles. La belle aura eu comme amants successifs Chevalier, Petzl, Letrône et Frachon, excusez du peu !

L'énorme masse du travail qu'il effectuait ne l'empêchait pas de vivre encore à cent à l'heure et de rester un déconneur de première force. Il était toujours souriant, sinon hilare, animé d'une incroyable force vitale et d'une constante envie de s'amuser. Être à sa table était l'assurance de réussir une joyeuse soirée, et les réjouissances commençaient dès l'apéro, à coup de "Capitaine Paf". Il y avait parfois des risques à le côtoyer : au repas du congrès de Grasse, alors qu'Hervé Tainton tentait de tenir les convives malgré le retard du traiteur, la Frach' excitait les Francs Comtois contre les Rhône-Alpins, dirigeant les tirs d'aïoli et de verres d'eau jusqu'à l'anarchie finale qui ne se termina que par l'évacuation de la salle.

Ce n'était pas un tendre. Son culot monstre le poussait toujours aux limites et il n'hésitait jamais à déclencher le chahut, ni à mettre à mort en public un adversaire qu'il méprisait. Il avait sa cour et ses souffre-douleur.

Au fil du temps, nous nous sommes constamment revus, toujours avec le même plaisir; il y avait alors toujours un moment où la conversation dérapait, sur un sujet grave ou futile, et où nous prenions par principe des partis opposés, même s'ils étaient intenables, pour le simple bonheur d'échanger des arguments, de rompre des lances. Il m'appelait dans ces moments là : "l'épicier" et moi : "le rat d'égout"... Les hostilités cessaient lorsqu'il me disait : "Quoi qu'il en soit, j'ai un dossier sur toi. Il y a tout, même ce que tu as oublié. Si je publie, tu es cuit !".

Et moi, je lui rappelais sa "galère", en souvenir de la tentative de conciliation de Marseille, en janvier 1974, lors de la première guerre entre la FFS et l'EFS. Une entrevue convoquée astucieusement par le président Propos dans sa ville, en un lieu inconnu, le Vieil Arsenal des Galères. Lâché pour une fois par son bon sens habituel, Jean-Claude n'avait pas trouvé l'adresse, errant dans la ville deux jours pour finir par arriver après la bataille, furieux de n'avoir pu lancer dans le débat les grenades dégoupillées qui lui étaient coutumières.

Ces dernières années, des soucis de santé l'avait éloigné du terrain. Il s'était donc investi à fond dans l'informatique, qu'il mettait évidemment au service de sa passion souterraine. "Quelle bénédiction que l'ordinateur", m'écrivait-il, "qui me permet depuis mon petit coin du Jura de rester en contact étroit avec tout le milieu spéléo".

Notre dernière rencontre date de la soirée "spéléoulipologie" il y a deux ans à Lyon. Comme en 1964, mais avec trente-neuf ans de plus, nous étions dans la même situation : lui au jury et moi candidat ! Il m'avait présenté la craquante Isabelle, et la soirée à la brasserie Georges avait duré fort tard.

Jean-Claude était capable d'exploser en colères homériques, comme de se faire bénédictin pour enrichir et compiler dans le silence de son bureau les fiches des cavités du Jura.

Une vie ne suffit pas pour faire le tour d'un tel homme, dont j'ai encore découvert le jour de sa mise en terre de nouvelles facettes, des talents cachés, des solidarités insoupçonnées.

La Frach', quelle stature : féru de régionalisme, spéléo complet, amateur de femmes, bibliophile reconnu, débatteur passionné et passionnant, personnage extraverti mais secret, goûtant bon vin et bonne chère; et encore meneur d'hommes, amateur de poésie, tribun ; tour à tour bâtisseur et destructeur, charmeur et carnassier, grande gueule et grand cœur, amoureux de la vie jusqu'à l'excès...

Jusqu'à ce jour funeste où ton coeur t'a lâché, après une alerte l'été dernier. Tu as tout réussi, même ta mort, faisant un dernier bras d'honneur au naufrage de la vieillesse.

Mais quel vide tu nous laisses ! Nous n'aurons plus le bénéfice de la truculence de tes sorties, des ressources de ta vaste culture, du chatoiement de ton esprit.

Ce disant, c'est évidemment sur nous que nous pleurons, avec notre égoïsme ordinaire. C'est à nous qu'il manque, et c'est nous qui nous sentons une nouvelle fois frôlés par l'aile de la mort. Si, comme le disait Montaigne, "philosopher, c'est apprendre à mourir", quel chemin avons-nous encore à parcourir avant d'apprivoiser la Camarde !

En apprenant la mort de Jean-Claude, et le premier vertige passé, toutes ces complicités, ces batailles, ce compagnonnage, tout cela m'a submergé ; et j'ai pensé aux dernières paroles des Quat'z'arts de Brassens, qui sonnent comme un avertissement : oui, "les vrais enterrements viennent de commencer".

Le lendemain, me revenaient en boomerang quelques lignes de la main de Jean-Claude, à propos d'une anecdote qu'il avait évoquée incidemment sur la liste internet spéléo, deux semaines avant sa mort : il s'était retrouvé une fois, par le plus grand des hasards, invité par l'une de ses connaissances à une soirée chez Brassens. Et voici qu'un co-listier lui avait demandé, en privé, d'en dire plus. Jean-Claude lui avait fait une réponse lapidaire, bien dans sa manière :

"Si tu avais été présent à ma place, ce jour-là, tu aurais été timide comme un gamin, ému comme une pucelle, saoul comme un cochon (comme tous les gens présents), et comblé d'entendre Brassens te chanter "l'Auvergnat" en remplaçant "l'Auvergnat" par "le grotteux"..."

Alors je me représente la scène.

J'imagine ces deux libres penseurs face à face. La voix du grand Georges. Et ces paroles, si connues, mais qui prennent maintenant une résonance poignante :

"Toi le grotteux, quand tu mourras,

Quand le croque-mort t'emportera,

Qu'il te conduise à travers ciel

Au Père Éternel".

Georges Marbach (Directeur EFS 1974-1977), 5 novembre 2005


Automne 1960. Je participe à une réunion du Spéléo Club de Lons le Saunier animé par Guy Coulois et nous évoquons des actions en faveur de la création d'une fédération. Parmi les spéléos présents, je remarque  un jeune qui pose beaucoup de questions et que je trouve bien sympathique. Il s'appelle  Jean-Claude Frachon. Nous parlons du célèbre réseau de la Dent de Crolles dont, avec mon club, les Tritons,  nous avons repris l'exploration et je l'invite à nous rejoindre au mois d'août 1961. J'avais aussi invité quatre jeunes lyonnais en recherche de club.

Fin juillet 1961. Ils ont rendez-vous au col des Ayes, après une bonne heure de marche, car il n'y a pas encore de route qui monte jusqu'au col du Coq, Jean-Claude et les lyonnais dont Gilles Babenko sont là.

Pour les tester, je les envoie, après avoir remonté les puits du Mat (20m), de la Cloche (20m) équiper les grands puits Marie-Suzon (35m), et des Cannelures (20m) du " méandre Guillemin ", qui, lui même n'est pas du gâteau. Le lendemain, ils ressortent fatigués mais  enchantés. Ils en redemandent. Je sens qu'ils vont être " des bons " parce que ce que je leur avait demandé n'était pas du facile et ils ont du matériel qui fonctionne bien. Pour moi, c'est un critère !

Le surlendemain 7 août, je rentre avec eux. En bas de ces puits nous découvrons la rivière que nous baptisons " Tritonne ". Nous la remontons et sommes arrêtés à la base d'un énorme puits que nous laissons aux générations futures.  

Chaque expédition dure au minimum 10 heures d'efforts intenses et nous avons bien besoin d'une journée pour récupérer.

Donc, le 9, c'est avec Jean-Claude et Jean-Paul Dotto que nous allons "attaquer", bien en forme, la suite du boyau des Souffrances découvert en octobre l'an dernier. Nous y arrivons sans histoire.

Une équipe de trois " bons ", ça "tourne rond". Pour moi c'est l'idéal. Aucune perte de temps, rien à dire, tout se fait tout seul, ça fonce ! On se comprend sans rien dire !

Franchissement toujours aussi pénible du boyau des Souffrances ! Là, nous avons le choix entre deux branches. Nous prenons le méandre de gauche et descendons le puits Fournier découvert et baptisé le jour où j'ai fait ma chute dans le puits de la Cloche. Là commence l'inconnu !

Il nous reste heureusement 30 mètres d'échelles car un nouveau puits démarre à sa base.

Difficile recherche d'un amarrage solide à défaut d'être bien placé (nous ne connaissons pas encore les spits).

C'est le "Frach" qui inaugure, ce sera donc le puits Frachon,  20 mètres ! Il hurle d'en bas que ça continue et qu'il semble que ça s'agrandit, nous le rejoignons aussitôt en rappel sur mousqueton en ce temps là

Depuis le haut du méandre Guillemin, nous avons descendu plus de 200 mètres et il reste une cinquantaine de mètres avant de nous trouver au niveau du Grand Collecteur ainsi nommé par Chevalier.

Nous sommes en plein suspense, le courant d'air est violent et un "je ne sais quoi" dans la configuration générale et dans l'écho de nos bruits me dit que nous sommes arrivés dans un volume important.

Effectivement, après quelques mètres de galerie étroite et boueuse nous arrivons à un carrefour. Pas très grand ce carrefour, mais nos voix et raclements reçoivent de plus en plus d'échos. L'excitation monte. Nous laissons à gauche un joli départ de galerie (je vais revenir ici en 64, cette galerie mène au puits de l'Abandon et au puits des Salauds). Mais aujourd'hui nous descendons.  En face de nous une galerie très inclinée va en s'agrandissant.

Jean-Claude se met à courir comme un lapin, nous crions notre joie et déboulons dans une immense galerie ... " le Métro ! ". Je crois que le mot a jailli de nos trois bouches....et ça continue en amont et ça continue en aval, un grand tube, d'un noir profond des deux côtés... Ce seul moment de jouissance justifie toutes les souffrances pour parvenir à cette découverte que nous savons déjà être primordiale pour la suite de nos explorations.

Nous n'avons pas pris le matériel topo, j'ai froid, et pour couronner le tout nous n'avons pour manger qu'un malheureux morceau de Comté (content le Frach') et un tube de lait Nestlé à moitié percé.

Tous bien d'accord, nous rentrons. Il y a 200 mètres de puits et méandres à remonter. Nous sommes encore en bonne forme et chacun remonte en " auto assurance "  et nous retrouvons la surface, les étoiles et les odeurs végétales après 16 heures d'exploration.

Les  explorations continuent  et je connais de mieux en mieux notre Frach'. C'est un " solide " et vivre en sa compagnie est des plus agréable et même amusant. Il est tellement bien acclimaté à notre équipe " Rhône-Alpes " qu'il ose maintenant en dire du mal au profit des " Francs-Comtois ". Les mots volent bas au cours des soirées ! Mais tout s'arrange autour d'un verre de " Tchouk-tchouk ". Il s'agit de l'unique boisson du camp : de l'Antésite, deux gouttes…qui sont restées jusqu'à ces derniers jours dans son vocabulaire quand nous avions soif : un " tchouk-tchouk ",  mais c'était désormais de l'Arbois !

Bref, ce Frach' est un bon. Ce sont des types comme cela dont j'ai besoin pour remplir les stages de " moniteurs " dont le CNS (Comité National de Spéléologie) vient de me confier la charge.

Je commence donc à le baratiner pour qu'il s'inscrive l'an prochain, en 1962.

Juillet 1962. Il est au stage à Vallon. Notre objectif est de former non seulement des spéléos d'explorations difficiles mais aussi des animateurs régionaux convaincants capables d'entraîner leurs clubs vers la création de CDS et d'une fédération. C'est exactement son profil. Il est naturellement parmi les meilleurs et obtient un des premiers diplômes de moniteur fédéral et avant que n'existe la fédération.

Il quitte Vallon et rejoint le col des Ayes sous la Dent de Crolles où toute l'équipe de l'année dernière se retrouve et nous reprenons les explorations où nous les avions laissées. Je me souviens d'une traversée P.40 - Glaz que nous avons faite tout les deux en moins de trois heures. Je pense que c'est toujours un record mais c'était surtout un régal d'harmonie dans la progression et dans les manœuvres. Ah mon Frach' ! nous en reparlions souvent de cette traversée express !

Michel Letrône, Jean-Claude Frachon,

Dente de Crolles - 20 août 2005

Au mois de juillet 1963, la Fédération Française de Spéléologie étant née le mois précédent, j'ai envoyé son alter ego Gilles Babenko suivre le même stage de moniteur,vraiment fédéral celui-là, et naturellement réussi.

C'est comme cela qu'en 1964, désirant décentraliser les stages de Vallon, le même centre " Jeunesse et Sport " mais à Chalain, dans le Jura, accepte de nous accueillir.

Georges Garby, un de ceux qui ont atteint le premier moins 1000 au gouffre Berger avait été nommé " moniteur sur titre " en 1960. Il va diriger le stage avec  Jean-Claude et Gilles. Nous aurons 23 stagiaires, c'est beaucoup, mais ces trois solides spéléos sont capables de les maîtriser et  parmi les candidats j'ai déjà repéré quelques " grosses pointures " potentielles qui, ne poseront pas de problèmes, bien au contraire. Il y avait entre autres Jo Marbach et Marcel Meyssonnier . . . !

C'est ainsi que le Frach' a commencé sa carrière à l'EFS et peu après, en mars 1965, en créant le CDS du Jura, le 5éme CDS français.

Une très longue carrière au service de la spéléologie jusqu'en ce triste jour du 26 octobre 2005.

Michel Letrône (Directeur EFS 1969-1973), 5 novembre 2005


Une gageure que de prétendre rédiger une "biographie" de Jean-Claude Frachon en quelques jours ? Assurément oui. "Quand on prétend, faut pouvoir !" se serait-il gaussé… Et il y a de quoi, tant l'entreprise semble colossale.

En attendant une véritable biographie (et il faudra être patient !), voici quelques points de repères, pour commencer à connaître - un peu - le personnage.

L'explorateur.

Le Lédonien Jean-Claude Frachon débute sa longue carrière d'explorateur souterrain dès l'âge de 14 ans, en 1958, dans le Jura. Premier grand succès dès 1964 : l'exploration de la "Caborne de Menouille" et réalisation cette année-là de la jonction avec le gouffre de Cernon, par le franchissement d'un siphon. La plongée souterraine n'en est alors qu'à ses balbutiements, et les techniques très rudimentaires… La cavité totalise alors 5500 m de galeries pour 157 m de dénivellation, et devient la plus grande traversée du quart nord-est de la France.

Véritable précurseur en matière de plongée en siphon, Jean-Claude Frachon et ses équipiers feront ensuite bien d'autres découvertes dans quelques uns des 200 siphons que recèle le sous-sol jurassien : grotte du Gour Bleu, Source de l'Ain, rivière souterraine de la Châtelaine…

Ces kilomètres de réseaux souterrains seront tous méticuleusement topographiés et publiés.Ne perdant aucune occasion, il profite de son séjour "forcé" à l'Ecole militaire d'Aix en Provence en 1966 et 67 pour faire de la spéléo en Provence et dans les Pyrénées.Car si la Franche-Comté reste son premier terrain d'action, Jean-Claude Frachon participe avec d'autres clubs à des campagnes d'exploration sur d'autres massifs prestigieux tels que la Dent de Crolles (Isère) en compagnie de son ami Michel Letrône, ou la Coume Ouarnède (Haute-Garonne) avec Gérard Propos.

Le militant fédéral

Membre du Groupe Spéléologique Jurassien dès 1960, Jean-Claude Frachon fonde en 1964 le Spéléo-Club du Jura, qu'il préside ensuite pendant près de quarante ans. Il est l'un des membres fondateurs du CDS 39, où il siège au comité directeur presque sans interruption depuis sa création en 1965, et occupe en tant que titulaire ou adjoint le poste de Conseiller Technique Secours de 1973 à 1992.

A l'échelon régional, Jean-Claude Frachon participe à la création du CSR "Alsace-Bourgogne-Franche Comté", et siège au comité directeur, jusqu'à la naissance en 1980 de la Ligue de Franche-Comté, participant à son administration pendant près de quinze ans.

Au-delà, son investissement au sein de la FFS est impressionnant : il est pendant 9 ans membre du comité directeur de la FFS, directeur de la commission de plongée souterraine de 1973 à 1977, puis de l'Ecole Française de Spéléologie jusqu'en 1979. Membre fondateur du Spéléo Secours Français, il en devient président-adjoint puis président de 1986 à 1992. Il préside le "département enseignement" de l'Union Internationale de Spéléologie de 1984 à 1997.

Une telle implication bénévole lui vaut - heureusement ! - quelques distinctions bien méritées, telles que la médaille de bronze du ministère de l'Intérieur pour "acte de courage et de dévouement", et la médaille d'argent du ministère de la Jeunesse et des Sports.

La Fédération Française de Spéléologie le nomme membre d'Honneur en 2002.

Au pied de la Dent de Crolles - 1983

Le cadre fédéral

Jean-Claude Frachon, enseignant dans l'âme, est instructeur de la fédération, et titulaire du brevet d'Etat depuis 1995. Cette passion pour l'enseignement l'amène à organiser et encadrer plus d'une centaine de stages.

30 sessions de formation technique et de formation de cadres tout d'abord, pendant une vingtaine d'années. Ainsi sous sa conduite aura lieu le premier stage national d'initiateur, en 1964 dans le Jura. Il assure la responsabilité d'une quinzaine de stages de spéléo jusqu'en 1983, essentiellement dans le Jura, le Vercors, et les Pyrénées.Durant le temps de sa présidence de la commission plongée, il organise et encadre trois stages nationaux de plongée souterraine.A partir de 1978, Jean-Claude Frachon se consacre essentiellement aux formation secours, en encadrant une trentaine de sessions : stages techniques, gestion de sauvetage, conseiller technique de préfecture… ainsi qu'un stage au Liban.

En dehors de la fédération, il a été sollicité pour participer à huit jurys de l'examen final du Brevet d'Etat de spéléo, et est intervenu jusqu'à cette année sur la plupart des UF 3 (connaissance du milieu) qui se sont déroulées à Chalain.

L'écrivain documentaliste

Enseignant-géographe, Jean-Claude Frachon se spécialise évidemment dans la connaissance du relief karstique. Son Diplôme d'Etudes Supérieures en géographie porte sur "les reculées du Jura lédonien" (1970). Les théories qu'il développe, qualifiées de "révolutionnaires" à l'époque, sont aujourd'hui communément admises.

A l'origine du premier fascicule de "CDS-info" en 1972, bulletin d'information du CDS du Jura, Jean-Claude Frachon aura assuré la parution de plus de la moitié des 200 fascicules édités à ce jour.

Cette même année débute également l'énorme entreprise de l'inventaire des cavités souterraines du département. En 2005, ce sont plus de 2400 phénomènes souterrains qui sont répertoriés, localisés, décrits, et pour plusieurs centaines, topographiés. Cet énorme travail de recherche n'aurait jamais abouti sans l'opiniâtreté, la méticulosité, et l'extrême rigueur du personnage.

Devant le développement de la spéléologie dans les Centres de Vacances, Jean-Claude Frachon publie en 1975 la première édition de "Découverte du Jura souterrain", fascicule décrivant une vingtaine de cavités du Jura adaptées à l'initiation, réédité en 1980 puis en 1992. Plus récemment, il participe à l'édition des deux topoguides "Spéléologie en Franche-Comté". Enfin, il supervise la publication des deux tomes de "Spéléologie dans le Jura" (1999 et 2003).

Jean-Claude Frachon – 2003 (montage F. Jacquier)

Il pilote pour le Jura "l'inventaire des circulations souterraines reconnues par traçage en Franche-Comté", qui sera publié en 1979 par le Ministère de l'Agriculture et réactualisé en 1987.

 Est-il enfin possible de dénombrer le nombre d'articles spéléologiques publiés par ce prolifique écrivain ? Oui ! Car il en tenait lui-même une comptabilité rigoureuse. Les revues spéléologiques foisonnent de récits, de rapports, de synthèses, sous la signature de Jean-Claude Frachon. Plus d'un millier d'articles, depuis son premier compte-rendu d'exploration à la Caborne de Menouille, en 1963. Par exemple, la table des matières de Spelunca 1981-2000 (supplément Spelunca n°88, 4ème trimestre 2002), recense plus de 100 articles portant sa signature, en dix ans, dans cette seule revue fédérale.

Il prend d'ailleurs une part active à la rédaction de Spelunca dès 1973 comme correspondant régional, puis comme membre de la rédaction en 1986. Pour ne rien oublier, il convient aussi de mentionner son implication pendant près de 25 ans dans l'élaboration du Bulletin Bibliographique Spéléologique de l'Union Internationale de Spéléologie.Ces dernières années, il s'est appliqué à construire son site internet "juraspéléo.fr". Evidemment un modèle du genre. Une mine de renseignements méticuleusement organisés, scrupuleusement vérifiés. Malgré son intitulé, l'intérêt de ce site dépasse largement les limites du Jura : on y trouve un recueil de poésies en rapport avec la spéléo, jeux, anagrammes, légendes, peintures, etc… Ce site est devenu une véritable référence dans le monde de la spéléo, et bien au-delà. Il sera conservé, comme oeuvre d'auteur, en l'état où il nous l'a légué lors de sa dernière mise à jour, le 25 octobre 2005.

 

Jean-Claude Frachon - 2004

 

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